Entretien avec une jeune femme exceptionnelle : Ninelle Pascale Youmbi
Aujourd’hui nous vous proposons d’aller à la rencontre d’une jeune femme extraordinaire : Ninelle Pascale Youmbi.
En 2010, elle a eu un accident de voiture et depuis, elle se déplace en fauteuil roulant. Cette situation ne l’a pas empêchée de réaliser ses rêves, elle aimerait aller au bout du monde et visiter l’Australie et la Birmanie. Pour ce billet, elle a accepté de répondre à nos questions, voici le cœur de son histoire.
Qui est Pascale ?
Je suis moi ! Lol ! A vrai dire, lorsque j’étais en classe de Terminale au Lycée de Mballa 2 Yaoundé cela a constitué l’intitulé d’un devoir ! Je ne savais pas quoi répondre, sachant bien que ça impliquait plus que de simplement donner son âge, sa nationalité et sa profession. Et aujourd’hui encore je ne suis pas si avancée que ça. Mais je répondrais… une jarre fêlée. https://lajarrefelee.wordpress.com/2017/09/13/la-jarre-felee/#more-64
A quoi ressemblait ta vie avant l’accident ?
Une vie classique d’ado en pays sous-développé. J’étais assez hilare et susceptible. Hypercomplexée. Sans trop d’ambition. Et j’étais assez gâtée par la vie ! Dommage que je ne m’en sois rendue compte qu’une fois paraplégique ! Ma plus grande souffrance : je me sentais idiote, laide et mal-aimée. Mais allez savoir pourquoi ! Heureusement, aujourd’hui j’évolue.
Que s’est-il passé pour que tu te retrouves en fauteuil ?
J’ai eu un accident de la voie publique en 2010 dont je suis sortie avec une fracture de la colonne vertébrale
Que s’est-il passé ce jour-là ?
Je rentrais de vacances, je dormais. J’ai juste entendu un grand bruit. Après, la voiture a fait un tonneau. Je me suis retrouvée sur le dos au milieu de la chaussé et je ne sentais déjà plus mes membres, j’étais extrêmement fatiguée. Je crois que le mal était déjà fait et qu’à ce moment-là les choses allaient définitivement changer et ne plus jamais être comme avant.
Comment as-tu réagi lorsque tu as appris que tu allais te déplacer en fauteuil roulant ?
Honnêtement, bien ! Car, quand on est resté longtemps enfermé dans une chambre d’hôpital, au bout d’un moment on veut juste aller jusque la véranda, prendre un peu de soleil. Si à cet instant, le seul moyen est cet engin à 4 roues, alors pourquoi pas ? Une vraie bouffée d’oxygène.
Je voulait plutôt dire dire : comment avez-vous réagi quand vous avez appris que vous resteriez toute votre vie en fauteuil roulant ?
Honnêtement je ne m’en souviens plus. Car la nouvelle ne m’est pas tombée dessus d’un coup. On ne m’a jamais dit : tu ne remarcheras pas. Je l’ai compris toute seule et, heureusement, petit à petit, on comprend progressivement. Cela m’a évité le « choc » de la nouvelle. À l’hôpital déjà, un psy m’a demandé ce que ça me ferait si je perdais une année scolaire. Et moi j’ai pris ça pour « tu vas faire un an dans le fauteuil ». Ce que je ne trouvais pas si grave ! Ce n’était qu’un an… J’avais des années en réserve dont je pouvais me permettre d’en perdre une. La première fois que je suis arrivée en salle de rééducation, j’ai fait une sorte de sondage et j’ai demandé à tous ceux qui y étaient combien de temps ils avaient déjà passé au centre. J’ai fait la moyenne et ça donnait deux ans. Je me suis donc dit : « deux ans ce n’est pas la mer à boire ». Le kiné m’avait dit que je serai debout pour le mariage d’une cousine qui avait lieu en décembre de la même année (à trois mois de la date). Le temps est passé et mes orteils ne bougeaient toujours pas, alors je me suis dit : ça peut prendre cinq ans, peut-être plus. Et puis un jour je me suis imaginée moi comme maman dans le fauteuil… A l’époque, j’ai aussi compris que je pouvais faire autre chose en parallèle de ma vie au Centre, il n’y avait pas que le travail de rééducation. Je ne sais pas précisément quand j’ai intégré le fait que je resterai peut-être en fauteuil toute ma vie. Mais je me suis rendue compte que je l’avais intégré, et, heureusement, à ce moment-là je savais déjà que la station assise ne scellerait pas mon sort. Loin de là.
Quelle stratégie as-tu utilisée pour t’adapter ?
M’adapter ? Sur quel plan ? Après ça, c’est toute la vie qui change et sur tous les plans. Pour pouvoir vous répondre je crois que je devrais carrément écrire un livre ! Je suis en pleine adaptation. Ce que je sais c’est qu’au début maman m’a beaucoup aidé. Le kiné et mes compagnons de chambre du Centre aussi. M’adapter à quoi ? À l’absence de motricité ? Mon frère est devenu mes jambes. Et aujourd’hui encore je marche dans tous mes rêves. Je crois que mon subconscient a du mal à se faire à l’idée. À l’absence de sensibilité ? J’en viens à oublier qu’autrefois je ressentais telle ou telle sensation. Au fauteuil ? C’est plus qu’un accessoire, mon fauteuil me permettait de sortir, ça s’est donc fait naturellement. À mon corps déformé ? Je ne l’aime toujours pas. Mais même debout c’était pareil. Le regard des autres ? Je pense qu’il est bienveillant quand le nôtre l’est. Heureusement que je l’ai vite compris. À l’absence d’autonomie ? On prend sur soi et heureusement mes proches ont toujours été disponibles et les gens sont toujours disponibles pour m’aider. Alors on cultive la patience, on apprend à dépendre de l’autre, à lui faire confiance… On comprend qu’on n’est pas obligé de courir au même rythme que les autres… bref on apprend beaucoup à ses dépens.
En somme le temps a fait son travail. L’amour aussi. Et plus concrètement j’ai fait beaucoup de développement personnel. Faire confiance en la vie. J’ai été debout, je sais que j’ai fait du chemin et que je m’adapte tous les jours.
Quelles sont les difficultés majeures que tu rencontres ?
Aujourd’hui je ne rencontre plus beaucoup de difficultés. Le plus difficile c’est au début.
La plus grande difficulté c’est la motricité avec ces dommages collatéraux : l’impact sur la liberté et sur l’intimité. La logistique qu’une marche ou la disposition d’une salle ou encore une route caillouteuse m’imposent. Je crois que c’est ce qui m’est le plus douloureux. Ne pas pouvoir fuguer comme je l’aimais, « on n’est jamais mieux servi que par soi-même ». Je ne le sais que trop bien et c’est assez frustrant.
As-tu gardé tes rêves de jeunesse ?
Je suis encore jeune ! J’ai perdu beaucoup de temps, mais je crois encore l’être. Mes rêves je les ai révisés, mais à la hausse. Plus on grandit, plus on se sépare de ceux qui ne nous conviennent pas.
Si par « jeunesse » vous attendez « avant l’accident », j’estime que je n’en avais pas. Minimes pour être appelés des rêves, car le contexte et le paradigme ne le permettaient pas. Heureusement maintenant je sais que rêver c’est gratuit et que ça apporte des couleurs à la vie.
Quel message veux-tu faire passer aux personnes qui vivent avec un handicap ?
« J’ai trop souffert de maux qui ne me sont pas arrivés ». J’ai énormément souffert à me poser plein de questions telles que : « serai-je une bonne mère ? Et mes études ? Et ma vie sociale ? »
Le temps passe et on se rend compte que les choses ne vont pas si mal que ça. Et puis on se rend compte que beaucoup de nos souffrances sont dans notre esprit. Quand on apprivoise ses peurs, nos limites se dissipent. Et on est capable de faire bien plus que ce que le handicap nous empêche de faire de prime abord. N’oublions pas cette leçon de vie : « Ta vie est le message que tu fais passer au monde. Fais-en quelque chose d’inspirant ».
As-tu l’impression d’être devenue plus forte mentalement ?
C’est rien de le dire ! Quoique, j’y travaille encore !
Merci Pascale pour cette interview au combien enrichissante. Nous te souhaitons beaucoup de bonnes choses pour la suite.
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